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Jean-François Cordeau : Les chemins de la logistique

8 janvier 2013

Extrait du HEC Montréal Mag, automne 2012

par Jacinthe Tremblay

Tous les chemins mènent à Rome, dit le proverbe. Certains, par contre, permettent d’y arriver plus agréablement, plus rapidement et à moindre coût. Lesquels ? Cette épineuse question est au cœur des travaux de Jean-François Cordeau, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en logistique et en transport à HEC Montréal. Parcours d’un mathématicien d’exception.

En 2002, HEC Montréal décernait à Jean-François Cordeau son prix Jeune chercheur pour la qualité remarquable de sa recherche depuis son entrée, trois ans plus tôt, au sein du Service de l’enseignement de la gestion des opérations et de la logistique. En 2006, il devenait le plus jeune détenteur d’une Chaire de recherche du Canada à l’École. Il avait alors 35 ans. Sa Chaire a d'ailleurs été renouvelée jusqu’en 2016. Depuis le début de sa carrière universitaire chez nous, il a aussi été professeur invité à l’Université de Vienne, en Autriche, ainsi qu’à l’Université de Bologne, en Italie.

On l’oublie souvent, mais la logistique est une source importante de coûts pour les entreprises. Le transport, l’entreposage et les coûts en capital des stocks peuvent représenter jusqu’à 10 % du coût total d’un produit. En alimentation, cela peut grimper à 30 %. Des millions sinon des milliards de dollars sont donc en jeu pour les grandes entreprises ayant, par exemple, des activités dans plusieurs pays.

Il ne s’en vantera jamais. N’empêche, Jean-François Cordeau est de ceux qui font de Montréal un pôle d’excellence en logistique et en transport. Depuis 2008, il est directeur adjoint du Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT). Ce centre, qui rayonne depuis Montréal, regroupe plus de 70 membres réguliers, une quarantaine de membres associés et quelque 400 aspirants à la maîtrise et au doctorat. Il est aussi membre du GERAD (Groupe d’études et de recherche en analyse des décisions), un autre centre interuniversitaire, haut lieu d’expertise, de taille similaire et ayant également pignon sur rue dans la métropole québécoise.

 

Routage et réseaux

Jean-François Cordeau s’est d’abord intéressé aux tournées de véhicules. La québécoise Cascades, par exemple, a eu recours à ses trouvailles mathématiques pour optimiser ses rondes de cueillette de papier à recycler dans les écoles et les immeubles commerciaux. Le professeur a également collaboré à la recherche de solutions pour améliorer la qualité des services en transport adapté pour les personnes à mobilité réduite de la région de Montréal. Au sein du CIRRELT, il a participé à d’importants travaux de recherche visant l’optimisation du transport et de la logistique dans le domaine forestier. Cet enjeu est toujours au programme de sa Chaire, tout comme la gestion des terminaux de transport. Sa signature apparaît, par exemple, dans des solutions aux problèmes d’accostage de navires proposées aux dirigeants du port italien de Gioia Tauro, l’un des plus gros centres de transbordement de conteneurs de la mer Méditerranée. « J’adore la recherche, mais c’est la résolution de vrais problèmes qui me donne le plus de plaisir », affirme-t-il.

Ses travaux plus récents portent sur la localisation des installations et la conception de réseaux logistiques. Quand la finlandaise Nokia a voulu revoir son réseau logistique planétaire, en y intégrant notamment des avenues susceptibles de limiter ses émissions de CO2, elle a fait appel à son expertise. « Avec la mondialisation, les activités d’approvisionnement, de production et de distribution se déroulent souvent sur plusieurs continents et utilisent plusieurs modes de transport. Les produits traversent aussi plusieurs fuseaux horaires et font escale dans des pays aux devises et aux lois commerciales différentes. Bref, les décideurs font face à des problèmes de logistique et de transport de plus en plus complexes », observe-t-il.

« Dans les divers problèmes que nous traitons, il y a toujours une série de bonnes solutions, poursuit-il. Aux décideurs de choisir. » Jean-François Cordeau s’efforce toutefois de leur faciliter la vie, en proposant, à l’aide de modèles mathématiques et d’algorithmes, les solutions propres à offrir à la fois précision, flexibilité, simplicité et rapidité.

 

Un fructueux détour

Après l’obtention de son B.A.A. avec spécialisation en méthodes quantitatives à l’École, Jean-François Cordeau a fait une année d’études en informatique à l’Université de Montréal. Et il a trouvé sa voie. « Ma fascination pour les tournées de véhicules a commencé lors d’un séminaire sur le problème du voyageur de commerce donné par le chercheur tchèque Vašek Chvátal, aujourd’hui professeur à l’Université Concordia », raconte-t-il. À première vue, le problème du voyageur de commerce paraît très simple à résoudre. Or, même s’il n’a que 10 clients à visiter depuis sa résidence, il doit dans les faits choisir parmi trois millions d’itinéraires possibles ! Si les vendeurs itinérants d’antan ont historiquement réussi à trouver une solution satisfaisante à partir d’un raisonnement purement intuitif, « la taille et la complexité des réseaux logistiques modernes défient toute prise de décision basée sur une telle approche », souligne Jean-François Cordeau.

À la même époque, il fait une rencontre déterminante. Gilbert Laporte, le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en distributique, est dans la salle. « Quand il m’a appris que HEC Montréal lançait l’année suivante une nouvelle option en modélisation à la maîtrise, j’ai décidé de m’y inscrire », raconte celui qui, de 2001 à 2006, allait être associé à la Chaire du professeur Laporte. Ensemble, ils ont cosigné plus d’une cinquantaine d’articles dans des revues scientifiques arbitrées. Ils ont aussi codirigé des dizaines d’étudiants à la maîtrise et au doctorat. Parmi eux, Gerardo Berbeglia, lauréat du prix Mercure de la meilleure thèse de doctorat 2010 à l’École.

En 2009, les deux chercheurs obtenaient, avec Federico Pasin, aussi de l’École, et Serge Bisaillon, analyste au CIRRELT, le premier prix du Challenge ROADEF. Ce concours international organisé par la Société française de recherche opérationnelle et d’aide à la décision était alors consacré à la gestion des perturbations dans le secteur aérien. Le défi ? Concevoir un algorithme capable, en 10 minutes, de produire un nouvel horaire de vols, de déterminer la rotation de chaque appareil de la flotte ainsi qu’un itinéraire pour chaque passager. Pour des milliers de passagers... Le quatuor montréalais est le seul, parmi la trentaine d’équipes de 15 pays en compétition, à avoir réussi à produire, dans un tel délai, des solutions de qualité à trois énormes casse-tête. Auparavant, le tandem Cordeau-Laporte avait décroché le deuxième rang de cette compétition à deux occasions. Les problématiques à résoudre avaient alors trait à la gestion de la mission de satellites d’observation de la Terre et à la planification des techniciens et des interventions en télécommunications.

« Jean-François et moi sommes très complémentaires. Pour nos étudiants, nous sommes aussi pratiquement devenus interchangeables. Nous avons une vision commune de la recherche. Nous suivons la même littérature scientifique. Nous adoptons assez rapidement la même façon d’envisager les solutions à un problème », dit celui qui est classé au troisième rang des chercheurs canadiens les plus influents en gestion, selon le HiBAR – Hirsch-Index Benchmarking of Academic Research, dont la première version canadienne était publiée dans The Globe and Mail en avril 2012. « La formation de Jean-François en informatique est plus pointue que la mienne. J’ai fait mon doctorat il y a 37 ans… Impossible de rattraper son avance ! » ajoute amicalement Gilbert Laporte.

Dans sa vie personnelle, Jean-François Cordeau a trouvé la solution optimale, voire parfaite, à ses propres enjeux de transport : il habite près de l’École et il vient y travailler à pied. Et dans ses temps libres, il privilégie le vélo, en famille. Il est, avec sa conjointe Anne Mercier, également Ph. D. en mathématiques appliquées de Polytechnique, l’heureux père de deux magnifiques jeunes filles, Marie et Béatrice. Deviendront-elles, comme leurs parents, conceptrices d’algorithmes ? « Difficile à dire, rigole leur père. Pour le moment, elles jouent du piano et nous faisons du sport ensemble, le plus souvent possible. »