Le bureau en pleine mutation
06 March 2023
Le bureau en pleine mutation
Le bureau en pleine mutation

 

Lors du 1er Rendez-vous ED x La Presse « Futur du travail : la fin du bureau? », les panélistes ont tenté de répondre à cette fameuse question. Est-ce que le télétravail, obligatoire durant la pandémie, a sonné le glas du bureau tel qu’on le connaît? Résumé de cette rencontre.

Animée par François Cardinal, éditeur adjoint et vice-président Information à La Presse, cette discussion rassemblait Marine Agogué, professeure agrégée au Département de management à HEC Montréal, Dominic Danis, président de Moov AI, et Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

 

Question courte, réponse courte

D’emblée, Marine Agogué explique qu’on assiste en ce moment à la fin du bureau tel qu’on le connaît. « Mais ce n’est pas la fin du bureau. Il est en transformation », affirme-t-elle.

Dominic Danis croit que le travail hybride est là pour durer mais est d’avis que de plus en plus d’employés se plairont à revenir au bureau plusieurs jours par semaine. « Les humains ont besoin de se rencontrer », dit-il.

Michel Leblanc rappelle, de son côté, que le travail n’était pas statique avant la pandémie et que « le travail en groupe dans un même endroit physique, en présence, est parti pour durer. Cela fait partie de l’humain, cela fait partie de l’économie. » Il abonde d’ailleurs dans le sens de Dominic Danis sur le fait d’avoir besoin de se rencontrer.

 

Des chiffres qui frappent

François Cardinal mentionne des études sur la satisfaction des employés en mode de travail hybride : le taux dépasse les 80 % pour le travail au bureau 2 ou 3 jours par semaine! Ils ont l’impression d’avoir une meilleure concentration, une meilleure productivité, de dépenser moins et d’avoir plus de temps. D’ailleurs, Michel Leblanc affirme que, lorsqu’on parle de télétravail, on met souvent l’accent sur les avantages qu’en tirent les employés plutôt que sur les défis que cela pose pour les entreprises.

Marine Agogué renchérit en signalant les résultats d’une étude récente en Allemagne. « Dans un marché du travail tendu, avec de nombreux postes vacants, le premier critère de choix pour les employés est la possibilité de faire du télétravail. »

 

La vision collective du travail

Si le télétravail semble plus attractif sur le plan individuel, il en est autrement de certains aspects collectifs du travail, comme la collaboration, la culture d’entreprise, la transmission des savoirs, la créativité, l’intégration des recrues ou la formation entre pairs.

« C’est une expérience qu’on est en train de tester. Il y a beaucoup de choses nouvelles dans nos organisations en ce moment », explique Marine Agogué. La professeure en management de HEC Montréal s’interroge sur les conséquences à moyen et à long terme du télétravail. Dans les premières données récoltées, elle mentionne la présence du travail asynchrone et davantage en vase clos. « On ne connaît pas les effets à long terme de cette façon de travailler. »

Michel Leblanc parle de l’importance de se rencontrer pour mieux croître comme entreprise. « À la veille d'une récession potentielle, en forte pénurie de main d'œuvre, avec des coûts qui augmentent, il faut regarder la productivité globale des organisations. Il faut reconnaître les dynamiques collectives », dit-il, ajoutant que le non verbal joue dans la cocréation, la collaboration et la prise de décision.

Le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain évoque également l’importance du centre-ville pour la productivité organisationnelle. Mais pas que pour cette raison : pour avoir un transport en commun efficace, des restaurants ouverts avec de bonnes conditions de travail, une offre intéressante de commerces, de services et d’activités, il faut des gens qui se rendent au centre-ville. « Comment garder nos centres-villes vibrants, sécuritaires et intéressants pour les touristes et résidents? »

 

Les bonnes questions à se poser

Au-delà du débat sur le télétravail, Marine Agogué s’interroge sur le sens du travail. « Ce n’est pas juste des tâches à accomplir. Le travail est aussi un vecteur de socialisation. Je rencontre des gens que je n’ai pas choisis, avec qui je suis obligée d’interagir. » Comme les chambres d’écho dans les réseaux sociaux, le télétravail limiterait donc les interactions aux terrains connus, sans risque d’être dérangé, dans tous les sens du terme.

Michel Leblanc reconnaît également que le sens du travail est un moteur puissant de la culture organisationnelle. « Les gens veulent sortir du 9 à 5. Ils ne veulent pas être obligés de se déplacer quand tout le monde le fait. Le télétravail est à la base un besoin de flexibilité dans les horaires de travail », estime-t-il.

Dominic Danis croit plutôt que c’est la perte de temps dans les déplacements et les coûts qu’ils engendrent (non seulement pécuniaires, mais aussi environnementaux) qui refroidissent les travailleurs quant à un retour au bureau. Dans son entreprise, la majorité des gens sont en mode hybride. « Je ne crois pas que tout le monde veut rester à la maison. Les gens sont contents d’être au bureau. » Il estime toutefois que l’obligation d’y aller quelques journées fixes n’est pas souhaitable. « Ce n’est pas en mettant des règles strictes que les travailleurs vont vouloir revenir au bureau », dit l’entrepreneur.

Marine Agogué considère qu’il faut aller à la source de l’engouement pour le télétravail. « Il faut se demander pourquoi on aime le télétravail. Quels en sont les avantages? Si c’est pour la flexibilité et l’autonomie, obliger les employés à revenir au bureau à des journées fixes leur enlèvera ces avantages. »

 

Des incitatifs au présentiel

Dans les discussions, les trois panélistes ont énoncé certaines solutions. Dominic Danis propose la création d’un canal Machine à café sur son outil de collaboration en ligne. Ainsi, tous les employés peuvent prendre cinq minutes pour se connecter sur ce canal, un café à la main. Le but est de reproduire ces discussions impromptues du présentiel dans l’univers virtuel. Il utilise aussi le tiers de la superficie de ses bureaux pour une cuisine, un salon, des salles avec tableaux blancs. Bref, des endroits plus conviviaux et ludiques afin d’inciter les travailleurs à se déplacer au bureau.

Michel Leblanc mentionne que, dans son organisation, la carte OPUS (transport en commun) est remboursée à ceux et celles qui s’engagent à se déplacer au bureau au moins quatre fois par semaine.

Marine Agogué met cependant en garde contre les incitatifs financiers. « Le problème est qu’on risque une perte de motivation si on les enlève. C’est une béquille facile pour ne pas avoir les vraies conversations, notamment sur le sens du travail. » Elle ajoute que toutes ces solutions restent une série d’essais et erreurs. « Le milieu du travail est en grande transformation », répète-t-elle.

Chose certaine, comme l’a rappelé François Cardinal en fin de rencontre, le point d’équilibre n’a pas été atteint entre l’amour des travailleurs pour le télétravail et le besoin des employeurs d’avoir des équipes sur place. D’ici les prochaines années, parions que nos entrepreneurs et entrepreneuses sauront trouver des solutions originales pour inventer l’avenir du bureau.