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Johanne Brunet, carrières parallèles et équilibre

14 janvier 2014

Extrait du HEC Montréal Mag – automne 2013

par Jacinthe Tremblay

 

La professeure agrégée Johanne Brunet, directrice du Service de l’enseignement du marketing de HEC Montréal, concilie avec bonheur, depuis plus de trois décennies, études et enseignement universitaires, gestion et administration d’organisations, voyages et pratique sportive... Portrait d’une femme au parcours marqué par une soif absolue d’apprendre, de partager ses connaissances et d’agir sur le terrain.

En septembre 2013, l’Association des MBA du Québec a rendu hommage à 40 titulaires d’un diplôme de MBA à l’occasion de son 40e anniversaire. Johanne Brunet était du nombre. Il ne s’agissait cependant pas de sa première haute récompense. En 1999, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain lui décernait son prix Action femme d’affaires. Elle venait alors d’accéder à la vice-présidence principale du consortium de diffuseurs publics TV5 Amériques, après avoir occupé de nombreux – et fort différents – postes de direction au sein de la Société Radio-Canada. À l’époque, elle était également doctorante en Industrial and Business Studies à l’Université de Warwick, au Royaume-Uni.

C’est cette même Johanne Brunet qui, au printemps 2013, s’est hissée parmi les quatre finalistes du concours international du Professeur de gestion de l’année 2013 organisé par l’Economist Intelligence Unit (EIU), filiale du magazine britannique The Economist. Parallèlement aux exigeants préparatifs de cette compétition où elle a devancé plus de 200 candidats, elle a maintenu ses engagements au sein des conseils d’administration de la Société des alcools du Québec, de la Société d’habitation et de développement de Montréal, du Théâtre du Rideau Vert et de l’Academy of International Management à Londres.

Et tout cela en exerçant ses multiples responsabilités universitaires... Car, en plus d’être professeure et directrice du Service de l’enseignement du marketing, Johanne Brunet est codirectrice du module Catalytic Mindset du EMBA McGill – HEC Montréal, membre associée de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux et membre du Centre d’études sur les médias, tout en collaborant au Pôle médias de HEC Montréal.

« Je mène depuis très longtemps des carrières parallèles, dans le monde universitaire et dans celui des organisations. Je suis heureuse parce que je fais les deux », explique-t-elle avec calme et douceur. De même, elle concilie sa vie professionnelle avec la pratique régulière de la course à pied et, à l’occasion, du golf et de l’aviron.

 

Un long périple

« Je suis une femme de mon époque », dit-elle aussi en amorçant le récit d’un itinéraire de vie peu banal qui débute par une course autour du monde de deux ans, après ses études au Cégep du Vieux Montréal. « À ce moment-là, j’ai songé à aller à l’université en géographie, en géologie ou en océanographie, raconte-t-elle. J’ai finalement choisi de commencer par découvrir le monde. ». Son long périple l’a menée dans plusieurs pays d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Asie. Pendant un séjour marquant de plusieurs mois en Inde, elle apprend le sanskrit et la méditation.

À son retour au pays, elle s’établit à Vancouver. Dans les emplois qu’elle occupe, ses patrons sont étonnés par ses habiletés en mathématiques et l’affectent à leurs services de comptabilité. Elle s’inscrit alors à l’Université de Colombie-Britannique (UBC) et devient comptable certifiée (CGA, CPA). Mais elle réalise rapidement qu’elle doit aller au-delà des états financiers pour vivre passionnément. Un conseiller en cheminement de carrière l’aide à visualiser le boulot parfait. Il comporte trois caractéristiques : travailler dans le monde des médias, en français, à Vancouver. Eurêka ! Elle est embauchée comme comptable bilingue à la Canadian Broadcasting Corporation (CBC).

Pendant 22 ans, d’abord à Vancouver, puis à Montréal, elle sera une « Radio-Canadienne » d’une rare polyvalence.

Avant son passage à TV5, elle a été, pendant cinq ans, directrice de la production extérieure et des acquisitions de la « Maison ». Auparavant, elle avait occupé des postes autant à la radio qu’à la télévision, aux réseaux français et anglais, incluant le poste de chef de cabinet du président Pierre Juneau. Tout en menant une double vie... universitaire. En 1988, lorsqu’elle termine son MBA avec profil en marketing et gestion internationale à HEC Montréal, elle amorce, à l’École, sa carrière d’enseignante à titre de chargée de cours.

Elle n’entend cependant pas en rester là et décide, quelques années plus tard, de faire un doctorat. « À Radio-Canada, comme à TV5, j’ai été témoin de projets qui, sur papier, semblaient destinés au succès mais qui ont connu de grandes difficultés ou qui ont même échoué, rappelle-t-elle. Je voulais mieux comprendre les facteurs qui, dans le processus de création d’une production télévisuelle et cinématographique, favorisent l’éclosion de la créativité et de l’innovation. »

Ses recherches la ramènent à des constats très proches des apprentissages qu’elle a faits dans ses voyages en Inde ! « La créativité, l’innovation – et le succès – naissent dans l’équilibre, jamais dans les extrêmes, résume-t-elle. Les approches de gestion ultrarigides aussi bien que le laisser-faire les briment. L’équilibre est également nécessaire dans l’environnement de travail et dans la composition des équipes, car la créativité est un processus collectif. »

Elle obtient son Ph. D. en 2000. Trois ans plus tard, après des incursions dans le secteur privé et en consultation, elle joint le corps professoral de l’École à temps plein. En 2010, ses pairs lui confient la direction du Service de l’enseignement du marketing, un mandat qu’ils lui ont demandé de renouveler en 2013.

« En plus de ses réalisations universitaires exceptionnelles et de ses accomplissements professionnels dans quelques-unes des organisations parmi les plus importantes du Québec, la professeure Brunet est demeurée humble et empathique et elle fait preuve d’attentions sincères envers ses étudiants », écrivait Ali Mahdavi, en soumettant la candidature de celle qui a dirigé son mémoire de maîtrise au concours mondial du Professeur de gestion de l’année 2013.

 

La classe vue comme un gym

Le titre lui a échappé de peu, mais cette compétition l’a poussée, dit-elle, à approfondir sa réflexion sur l’essence de l’enseignement. « Notre rôle est de transférer des connaissances et de nous assurer que les étudiants ont compris, résume-t-elle. Bien sûr qu’il faut être intéressants, mais si nous ne sommes qu’intéressants, on est des stand-up comics, sans plus. »

Une autre expérience récente a enrichi cette réflexion. Johanne Brunet et sa collègue Yannik St-James, aussi professeure agrégée en marketing, ont réalisé le premier cours donné sur la plateforme EDUlib lancée par l’École en 2012 sous l’égide de la Direction de l’apprentissage et de l’innovation pédagogique. Plus de 4 000 personnes originaires d’une cinquantaine de pays se sont inscrites à leur cours intitulé Introduction au marketing, offert en ligne gratuitement. « Le défi, dans ce cas, était de faire preuve de synthèse et de précision, puisque nous avons dû condenser en 6 heures des contenus habituellement enseignés en 18 heures », dit-elle.

Peu importe le contexte de formation, la professeure Brunet poursuit le même objectif : « Je veux m’assurer que les étudiants réfléchissent aux différentes théories et aux exemples pratiques qui leur sont présentés. Je veux qu’ils affinent leur propre jugement sur les enjeux d’affaires en les forçant à discuter entre eux et à dire vraiment ce qu’ils pensent. Je vois la classe comme un gymnase : un espace d’entraînement pour le cerveau, l’intellect et le jugement. Je pousse les étudiants à prendre des risques... parce qu’il n’y a justement pas de risques en classe. »

Johanne Brunet se fait également un devoir de placer ses étudiants en contact direct avec la vie en entreprise, que ce soit en leur soumettant des cas « réels » ou en leur faisant exécuter, en équipe, des mandats de consultation.

Elle a de plus participé à la mise sur pied des campus internationaux – des expériences d’affaires immersives sur le terrain – tenus aux États-Unis, en Inde et en Australie.

Au-delà de ses réflexions sur l’enseignement, le concours de The Economist a amené Johanne Brunet à faire des liens avec son parcours peu banal. « Méditer en Inde, vérifier des états financiers, œuvrer dans les industries culturelles et enseigner en marketing et en gestion, tout ça procède de la même quête : comprendre la vie, comprendre la planète et les êtres humains qui y vivent », conclut-elle.